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Scolies
24 mai 2012

CCXXXI

Poenitentia virtus non est, sive ex ratione non oriture ; sed is, quem facti poenitet, bis miser, seu impotens est.*

– Spinoza

ParisSJdHP28

Ressasser sa faute ne peut que faire diminuer sa puissance, et c'est le sens de la formule scandaleuse de Spinoza, qui déconseille le repentir au sage. Si on lit la scolie de la proposition LIV de la quatrième partie de l'Éthique, on verra que le subtil Baruch légitime malgré tout l'utilisation des affects de Repentir et d'Humilité, pour des raisons pragmatiques : les hommes ne sont pas tous rationnels, et, prenant acte de ce fait, nous devons diriger les hommes par les moyens les plus efficaces possibles. Or, l'exhortation au repentir permet au moins de faire honte aux hommes injustes, et ainsi d'inhiber un peu leurs mauvais instincts : c'est une utile chaîne intérieure.

Plaçons-nous du point de vue du sage. Le sage commet des fautes à l'égard d'autrui, comme tout le monde ; mais ce qui le démarque des autres hommes, c'est qu'il va apprendre de sa faute, et sans se repentir, c'est-à-dire sans laisser sa conscience morale l'affliger, le mordre à répétition. Pour autant, le sage tente de réparer sa faute, en commençant par s'exuser. La question venant directement à l'esprit est de savoir s'il est possible de s'excuser sans se repentir, d'exprimer sa honte d'avoir mal agi sans ressentir une douloureuse honte intérieure ; autrement dit : peut-on s'excuser d'un acte en l'assumant mais sans douloureusement le regretter ?

Oui, ceci est possible, et nous devons nous efforcer de rendre ceci possible. Faisons le raisonnement spinoziste depuis le commencement pour gagner en clarté. Il n'y a aucun intérêt à se repentir, dans le sens où la repentance revient à contempler sa faute et sa tristesse et à la ressusciter sans cesse ; au contraire, être vertueux, c'est-à-dire augmenter sa puissance, consiste à apprendre de sa faute, à comprendre en quoi le rapport que nous avons eu avec tel objet extérieur était source de diminution de puissance, et à l'éviter dans le futur. Il est important de bien définir les mots : il faut dire qu'assumer, ce n'est pas revendiquer, légitimer ou être fier d'une action, mais c'est porter en soi l'action en reconnaissant que notre être est à la source de celle-ci ; c'est être responsable dans le sens étymologique, à savoir que nous répondons d'une chose, ce qui ne signifie pas nécessairement que nous tâchons par tous les moyens sophistiques de nous défendre ou de nous légitimer, mais bien plutôt que nous essayons de faire comprendre l'origine de notre action. De même, par s'excuser, il ne faut pas entendre repentance ou remords (beau mot si parlant, comme si la peine re-mordait l'âme) ; non ; dans l'acte de présenter ses excuses, il faudrait plutôt voir l'expression et l'explication, devant l'intéressé, des raisons ayant conduit à la faute, ce qui présuppose la pleine compréhension de l'erreur qu'on a commise. Puis, aux excuses adressées à une personne qui nous est chère suit une promesse de ne plus reproduire faute semblable.

Il y a un beau et utile mot qu'on n'emploie guère : la résipiscence, qui vient du latin resipisco, redevenir sage. Ainsi, dans une situation de faute à l'égard d'autrui, la meilleure attitude à avoir est peut-être de faire preuve de résipiscence, c'est-à-dire non seulement promettre, mais montrer dans les actes que nous avons appris de notre faute, que nous reconnaissons avoir failli, et que, désormais, pour notre bonheur et celui de nos semblables, nous nous dirigeons dès à présent vers davantage de sagesse.

*Le repentir n'est pas une vertu, autrement dit, il ne naît pas de la raison ; mais qui se repent de ce qu'il a fait est deux fois malheureux, autrement dit impuissant.

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