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Scolies
14 mai 2012

CCXXI

Affectus itaque odii, irae, invidiae etc., in se considerati ex eadem naturae necessitate, et virtute consequuntur, ac relique singularia ; ac proinde certas causas agnoscunt, per quas intelliguntur, certasque proprietates habent, cognititione nostra aeque dignas, ac proprietates cujuscunque alterius rei, cujus sola contemplatione delectamur.*

– Spinoza

cerveau

L'homme a rarement l'heureuse possibilité de sauver son semblable, car celui-ci suit par trop ses propres règles internes pour pouvoir être suffisamment infléchi vers la bonne voie, c'est-à-dire la voie de la puissance, de la vertu et de la joie. Il est incontestablement fort difficile de changer un homme ; tout le monde l'a remarqué un jour ou l'autre, et plus d'une fois ; la force de ses déterminations diverses rendent difficile la transformation de ses dogmes, de ses habitudes, de ses règles de vie. Il faut dire qu'impossible n'est point difficile, et que nous pouvons parfois avoir ce grand bonheur, celui d'agir profondément sur un être et de le réhausser.

Une belle source de consolation, qui compense l'amertume due à la considération de notre impuissance relative, peut se trouver dans l'observation des grandes capacités de notre raison à comprendre nos semblables. Le réel est intelligible ; toutes les personnes sont intelligibles ; nul n'échappe aux implacables lois de la nature, quoi que puisse nous faire penser l'inconstance apparente des hommes dans leur comportement. Et intelligibilité ne veut point nécessairement dire prévisibilité. Il est donc rassurant de remarquer qu'un être peut être compris par un fin psychologue, lequel est tout l'inverses des psys modernes en toutes sortes employés dans des cabinets. Lorsque nous avons suffisament d'informations, nous pouvons nous efforcer de comprendre les mécanismes d'un individu, même si une singularité humaine n'est jamais observable en pleine lumière ; et, par ailleurs, nous avons besoin de ces ombres fluctuantes qui font qu'un homme contient toujours une part mystérieuse, envoûtante. L'obscurité anime le désir de lumière.

Ainsi, il est possible, par les investigations rationnelles, mais aussi par la sensation, par le cerveau des émotions, de parcourir et de savourer les richesses, les milles nuances et détails qui font l'unicité de tous les hommes. Je m'imprègne du message fort que Spinoza nous adresse : il faut tâcher et avoir plaisir à connaître par-delà le bien et le mal, sans écrasant système de jugement ; nous devons essayer d'être des philosophes qui réhaussent, et non de tristes prêtres colporteurs de ressentiments. Il me semble que le véritable humanisme est là : comprendre l'homme, dans toute sa splendeur et sa misère, sans fards inutile, et ainsi faire de ses rencontres avec ses semblables autant d'occasions de comprendre, le plus joyeusement possible, l'humanité, prenant le chemin allant du singulier à l'universel. Un homme conduit à l'Homme. Il faudrait toujours se dire : j'aime l'homme, dans ce qu'il a de meilleur et dans ce qu'il a de pire, parce que je le comprends dans toutes les parcelles de son être, et parce que toute connaissance est une joie. 

L'oeuvre d'art, qui est le terrain de jeu du philosophie, permet de mettre en application des connaissances sur l'homme et de rendre directement palpable la joie de comprendre l'homme en diverses situations : puissance de la connaissance intuitive propre à l'art. Il est plaisant de regarder autrui comme on regarde un personnage de roman, avec la distance adéquate pour l'examiner sans s'embrouiller, sans trop se perdre en ses fluctuants rayons aveuglants, trop proches de nous. Julien Sorel et Mme de Rénal ne sont jamais bien loin. 

*Et donc les affects de haine, de colère, d'envie, etc. considérés en soi, suivent les uns des autres par la même nécessité et vertu de la nature que les autres singuliers ; et partant, ils reconnaissent des causes précises, par lesquelles ils se comprennent, et ont des propriétés précises, aussi dignes de notre connaissance que les propriétés de n'importe quelle autre chose dont la seule contemplation nous délecte.

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