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Scolies
6 juillet 2012

CCLXXIV

Toujours un petit doute à calmer, voilà ce qui fait la soif de tous les instants, voilà ce qui fait la vie de l'amour heureux. Comme la crainte ne l'abandonne jamais, ses plaisirs ne peuvent jamais ennuyer. Le caractère de ce bonheur, c'est l'extrême sérieux. 

– Stendhal

g-rard-fran-ois-p

Le plaisir de l'amour n'est point un plaisir pur ; sensation équivoque par excellence, l'amour, même heureux, est mêlé de milles inquiétudes et violentes piques contre notre âme ; et si l'on peut certes parler de bonheur amoureux, ce n'est jamais dans le sens négatif du concept de bonheur, c'est-à-dire comme absence de troubles. Manger du saucisson est un plaisir pur, à ce que je crois ; rien n'altère le bonheur des papilles qui savourent ce mets sacré de tous les bons vivants qui se respectent. Ceci dit, on voit de plus en plus souvent que les plaisirs de la table sont gâtés par la pensée du contrôle despotique de son poids ou par la tyrannie ridicule, mais de plus en plus envahissante, de la diététique de pacotille qui essaye, bien vainement dans mon cas, de nous faire culpabiliser à chaque consommation un peu trop joyeuse de gras. Malheureux ceux qui ne savent goûtent le plaisir pur et innocent de dévorer avec gourmandise une tartine de beurre salé !  

Le plaisir de l'amour, lui, ne saurait être pur, car la passion de l'amour implique, en son idée même, le doute incessant sur ses sentiments et sur ceux de l'aimé, ce que Stendhal fait mieux voir que quiconque. Point d'amour-passion sans ce doute qui aiguise le sentiment ; point de passion du tout sans tension, sans conflit cherchant une résolution, sans obstacles à la réalisation des penchants. Le caractère irrémédiablement douloureux de la passion amoureuse a fait souvent comparer cette dernière a une maladie de l'âme. Oui, d'accord, mais maladie volontaire dont on redouterait le vaccin et le remède. Au fond, presque tous les amoureux ne regrettent pas d'aimer ; et lorsqu'ils affirment, dans un mouvement plus rhétorique que sincère, qu'ils auraient préféré ne jamais tomber amoureux, n'avoir jamais rencontré cet être maudit envahissant leur esprit, et demeurer peinards dans leur vie paisible et sécurisée, ils ne pensent pas réellement ce qu'ils disent. Les amoureux ne peuvent s'empêcher de vénérer Éros, le bourreau sans pitié de leur tranquillité et la source adorée de leur brasier intérieur. Il est probable que le bonheur se trouve davantage dans le tumulte des coeurs que dans la tranquillité ennuyeuse de l'existence sans passions, sans inquiétudes, sans contrastes, et sans ces élans douloureux de l'âme qui animent notre être tout entier. 

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