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Scolies
7 juillet 2012

CCLXXV

Le rire fou serait donc sublime par la confiance. D'où l'on conclut trop vite que l'esprit se moque de tout. Il ne se moque point ; mais plutôt il se délivre. De quoi ? Peut-être de tout devoir. Peut-être de haïr ; peut-être d'aimer.

– Alain

rire-de-funes

Il y a une vertu de l'abandon de qui est presque systématiquement occultée par nos spécialistes en morale. Il faut considérer le fou rire, qui, à ce qu'il semble, a des effets similaires à ceux du bâillement : par ce geste, on rejette d'un mouvement apaisant toutes les pesanteurs du monde, on envoie balader pour quelques instants tous nous ennuis, aussi graves soient-ils. Je vois une grande beauté dans le prosaïsme de ces détentes du corps. Il est remarquable que l'abandon de soi se fait toujours pas le corps, sans quoi cette expression ne veut pas dire grand chose. Qu'est-ce que serait un abandon de l'âme, si le corps demeurait continuellement tendu et rigide ? Pour délasser l'esprit, il est nécessaire de commencer par délasser le corps ; d'ailleurs, il le fait un peu par lui-même, car il est impossible de vivre sans relâchement. Sur ce point, l'observation des animaux éclaire le comportement des hommes.

L'abondance effrayante des fous rires après des forts moments de tension s'explique alors facilement. Par là je comprends aussi pourquoi j'ai été plus d'une fois tenté de laisser éclater un fou rire au beau milieu d'un cours sévère. Les folies après les examens viennent d'un besoin naturel du corps de s'abandonner tout à fait après avoir subi une épreuve exténuante par son exigence de concentration et la tension extrême s'installant naturellement en soi. Après cette tension extrême, il y a un temps pour la détente extrême, sauvage ; il faut que la frivolité et la légèreté triomphent, au moins quelques instants. Il y a du sublime dans cet anéantissement violent de tout devoir et dans la mise à l'écart sans appel de toute responsabilité. Même nos passions cessent de nous assaillir pendant ces heureux moments de délivrance. Le fou rire est une fuite de la moralité ; et, sans doute, pour éviter que la morale ne se transforme en lourde moraline, il est indispensable de rejeter parfois au loin, par ces joyeuses convulsions du corps, toutes nos prescriptions, nos règles de conduite, nos repentirs et nos résolutions. Le fou rire est la rédemption du corps tendu ; c'est dire à quel point il est nécessaire à la santé de l'esprit. 

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