Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Scolies
1 novembre 2011

XXVI

Il n'y a rien dans le monde qui n'ait son moment décisif, et le chef-d’œuvre de la bonne conduite est de connaître et de prendre ce moment.

 Cardinal de Retz

DELACROIX_Eugene_Arab_Horses_Fighting_in_a_Stable 

Il y a un art du kairos. Art fécond, concept pratique, car celui qui possède cet art (à moins que ce ne soit un don ?) s'élève au-dessus des autres. À la réflexion, la maîtrise du moment décisif apparaît bien plus important que la préparation ; la propédeutique sans kairos est inutile ; il y a un instant dans le temps où tout se joue, où tout est encore à faire, où rien n'est encore accompli. C'est une illusion tenace que de croire que tout est déjà fait d'avance : « Ah ! je suis le meilleur aux échecs, je suis sûr de gagner contre ce jeune débutant » ; « Ah ! sa meilleur amie m'a dit qu'elle m'aimait, je vais avancer vers elle, et elle tombera dans mes bras ». Dans le jeu, dans l'amour, dans l'art, et, en somme, dans la vie, rien n'est fait d'avance ; peu importe le temps passé à se concentrer sur un événement que l'on croit prévisible : si l'on rate le kairos, si l'on méprise la recherche et l'attention sur le moment décisif, tout s'effondre.

Il y a un art du kairos ; et je crois qu'il consiste à concentrer en un point précis de notre durée toute notre force. À un moment, qu'il faut être capable de sentir, il ne faut plus reposer sur ses habitudes et faire le mécanique automate ; à un moment, il faut pouvoir agir en vibrant de toute son âme, ne plus regarder le passé, ne pas trop anticiper l'avenir, et aller, droit devant, vers l'action à exécuter ; et celui qui agit ainsi fait un acte libre en même temps qu'un acte fort.

Si nous voyons particulièrement cet puissante saisi du moment adéquat dans la politique, c'est parce qu'en politique les actions sont publiques, et que là où il y a acte fort personnel, il y a conséquence importante et immédiate pour les autres hommes. Mais qu'on regarde Casanova ; lui aussi possède cet art du kairos, et sans cette faculté à comprendre qu'il faut agir à tel moment précis, tout l'art de la séduction et de l'amour tombe. On peut être excellent séducteur en pensée ; on peut comprendre l'évolution des sentiments des femmes, croyant ainsi pouvoir les maîtriser ; on peut élaborer des plans complexes et rationnels, intelligents, habiles ; si l'on ne sent pas qu'il faut agir à ce moment, si l'on a pas cette pression du cœur et de l'entendement qui nous appelle à l'assaut, alors, en même temps que le moment, nous ratons la femme, la conquête, le bonheur. Mais comment diable s'acquiert l'art du kairos ?

Publicité
Publicité
Commentaires
B
Je vous remercie pour ces références que j'ignorais ; je ne connais presque rien de la pensée orientale. J'ai néanmoins eu l'occasion de lire Sun Tzu, qui offre un parallèle intéressant avec Machiavel. On m'a souvent conseillé avec enthousiasme le fameux Tao-Te-King, il va falloir que je le lise un jour !
D
Anaxarque a écrit un "Traité du Kairos" dont il ne reste pas grand chose ; sur le plan politique, Machiavel est un maître et la "virtu" désigne cet art en prise avec la fortune. <br /> Les chinois aussi pratiquent à leur manière le kairos, vivre avec la saison, avec les flux, immergés dans le Tout de la nature qu'il ne s'agit pas de forcer. On plante et jardine au bon moment, un processus au milieu des processus universels et tout pousse et se développe avec le minimum d'intervention (voir les remarquables ouvrages de François Jullien sur ce point). Il n'y a quasiment rien à faire, tout se fait de soi. Comme l'a résumé Montaigne, "Le glorieux chef-d´oeuvre de l´homme, c´est vivre à propos".<br /> Amicalement
Scolies
Publicité
Archives
Publicité