Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Scolies
27 janvier 2012

CXIII

Telles furent les premières affections de mon entrée à la vie : ainsi commençait à se former ou à se montrer en moi ce coeur à la fois si fier et si tendre, ce caractère efféminé, mais pourtant indomptable, qui, flottant toujours entre la faiblesse et le courage, entre la mollesse et la vertu, m'a jusqu'au bout mis en contradiction avec moi-même, et a fait que l'abstinence et la jouissance, le plaisir et la sagesse, m'ont également échappé.

– Jean-Jacques Rousseau

Je suis obligé de lire les Confessions de Saint-Augustin ; je n'ai jamais lu quelque chose d'aussi lourd, pompeux, chiant. Je suis un profane, un horrible gentil, un païen sans foi ; que Dieu ait pitié de mon âme insensible aux prières emphatiques ! Je n'ai même pas encore terminé le premier livre, tellement le texte m'emmerde et me pousse, à peu près toutes les dix lignes, à ouvrir un autre bouquin. Même en latin je trouve ça mal écrit ; Nietzsche, je m'en rends compte, avait mille fois raison de s'écrier : Je viens de lire par délassement, les Confessions de Saint-Augustin. Oh, le vieux rhéteur ! Comme il est faux et comme il roule des yeux ! Comme j'ai ri ! (Par exemple, le "vol" de sa jeunesse, au fond une histoire d'étudiant). Bah ! Peut-être aimerais-je la suite, si je trouve la force de continuer. C'est parce que j'étais lassé de la prose empesé de Saint-Machin que je commençai à lire l'ouvrage homonyme de Jean-Jacques, que je n'avais jamais eu le temps de découvrir.

Quelle différence, dans la lecture, avec ce fichu saint dont le nom même me révulse ! J'ai dévoré, sans m'interrompre, le premier livre. Oui, le style de Rousseau est souvent ampoulé ; oui, il est paranoïaque, et prend toujours la posture de l'homme mis injustement en accusation, cherchant toujours à se justifier ; mais enfin, la force du génie de Jean-Jacques fait rapidement oublier tous ces défauts manifestes. On se contente trop souvent de lire l'incipit aussi célèbre que ridicule de l'ouvrage. Je suis un stendhalien un peu fanatique, et j'adhère toujours aux propos de Stendhal sur Jean-Jacques ; maintenant je comprends plus que jamais pourquoi il chercha tant à s'émanciper de son influence, et j'aime encore davantage la Vie d'Henry Brulard, mon autobiographie préféré. Rousseau est sans doute l'un des écrivains les plus fascinants qui soit ; sa vie et son caractère seront toujours une source de curiosité insatiable ; longtemps encore, nous rêverons de cet homme complexe, contradictoire, et qui, au fond, s'est si bien compris lui-même. S'il ne s'était pas magnifiquement analysé, nous ne nous intéresserons pas à lui. C'est ce que l'extraordinaire phrase tirée du première livre des Confessions m'a fait remarqué, et c'est ce qui m'a donné envie de célébrer Jean-Jacques, qui peut être aussi tellement exaspérant. Je pensais trouver beaucoup de chose dans ce livre, mais pas de la lucidité.

La lecture, un peu frénétique, du premier livre des Confessions m'a, à ce qu'il me semble, beaucoup plus apporté que la longue lecture de nombreux livres de philosophie. La littérature, quoiqu'en en dise, sera toujours plus riche et puissante que la philosophie, ce que les philosophes de bon goût ne manquent d'ailleurs pas de reconnaître. Dans ce premier livre, on y sent les joies universelles de l'enfance, les aventures de l'éducation, la bizarrerie de la sexualité naissante ; autant d'idées plus fécondes et plus intéressantes que toutes les phénoménologies du monde ou que la déduction transcendantale des concepts purs de l'entendement. Avec l'art, l'idée se fait sensible ; elle descend du haut trône de l'abstraction ; le particulier de Jean-Jacques s'unifie avec l'universel de l'homme ; la connaissance se fait aussi forte qu'exacte. 

À tous les coups, je terminerai les Confessions de Rousseau, en me gaussant gentillement et en m'apprenant beaucoup de lui, plus rapidement que les grandiloquentes balivernes du plus infâme voleur de pomme de l'histoire. On connaît tous le passage d'Augustintin où il se repent de voler une pomme comme s'il avait violé mille vierges, assassiné sans vergogne sa famille bienveillante, brûlé les maisons du seigneur et sodomisé tous les enfants de l'Afrique ; personne ne prend ce passage sérieusement, et l'on se moque à juste titre des grossières techniques de rhétorique du mauvais saint repenti. Risible résipiscence affectée. À cela donc, je veux opposer ce passage d'une drôlerie garantie sans moraline de Rousseau : Je me souviens pourtant d'avoir une fois pissé dans la marmite d'une de nos voisines, appelée Mme Clot, tandis qu'elle était au prêche. J'avoue même que ce souvenir me fait encore rire, parce que Mme Clot, bonne femme au demeurant, était bien la vieille la plus grognon que je connus de ma vie.

Publicité
Publicité
Commentaires
Scolies
Publicité
Archives
Publicité