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Scolies
27 juillet 2012

CCXCV

Les grandes machines de style, avec le perpétuel ronron de leurs phrases, m’ont à jamais dégoûté de la forme. Pauvres livres, si harmonieux, si l’on veut, et si assommants ! Dans les livres que j’aime, il n’y a pas de rhétorique, il y a même bien des imperfections, mais celui qui les a écrits valait tous les Flaubert du monde.

 Léautaud

9782070374304


Aussi il n'est pas étonnant d'apprendre que Léautaud lisait sans cesse les Souvenirs d'égotisme, que je suis en train de lire avec beaucoup de bonheur en ce moment, et en me faisant le même genre de réflexion que le vieux ronchon. D'où vient que le travail de la forme, aboutissant au beau style à la Chateaubriand, Flaubert ou tant d'autres, puisse s'avérer aussi décevant et même inférieur au style négligé d'un Stendhal ? Cette perfection du style ne doit pas être une vraie perfection, puisqu'elle est si peu satisfaisante aux yeux de certains lecteurs. Mais les stendhaliens sont une minorité, et l'on voit davantage de personnes vénérer Flaubert que Stendhal. Tout de même, d'où vient ce mystérieux décalage ? Les plus grands artistes n'étaient peut-être pas tous des perfectionnistes obsédés, après tout. Vivaldi est grand, et ne s'amusait pas à travailler pendant cinq ans sur un opéra. Peut-on à la fois aimer Stendhal et préférer Wagner à Rossini ? Ces affinités éclairent le problème, je crois. J'en cherche dans l'histoire de la peinture, mais je m'aperçois que mon ignorance est trop grande en cette matière. Toujours est-il que je crois saisir cette idée d'après laquelle le coeur de l'activité esthétique est moins dans le travail besogneux, dans le perfectionnisme consciencieux, que dans la force spontané de l'élan créateur. L'artiste s'appuie moins sur son entendement que sur son intuition et ses instincts, ce que Flaubert ne concède jamais. Certes, il serait sot de réduire le rôle majeur du travail de l'intellect dans l'élaboration des oeuvres d'art, car le travail se rajoute à l'élan sans le remplacer. Où est l'élan dans Salammbô ? Là dedans, tout est médité, calculé, développé selon un plan précis ; c'est le fruit ennuyeux d'un besogneux travail d'ouvrier ; c'est un étalage brillant de guirlandes faussement parfaites se pâmant devant le lecteur exaspéré. Quand j'avais lu ce bouquin, j'étais encore immature en littérature ; je n'étais pas sûr du tout de mes jugements ; aussi, je crois bien que je m'étais forcé à l'aimer, j'essayais de me persuader de la perfection incontestable de Flaubert. Vraiment, sans la lecture de Stendhal, vers mes 18 ans, je serais resté un sot en littérature et sans doute en bien d'autres domaines. Dès que je lis cet auteur unique, non seulement je suis heureux comme si je retrouvais mon meilleur ami absent depuis des mois, mais de plus, je m'abandonne davantage à moi-même, préférant mes maladresses personnelles à la poursuite futile et affectée d'une vaine perfection.

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