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Scolies
8 mars 2012

CLIV

À qui lui demandait pourquoi on passait des autres écoles à celle d'Épicure et jamais de celle d'Épicure à une autre, Arcésilas répondit : "Quand on est un homme, on peut devenir eunuque, mais lorsqu'on est eunuque, on ne peut devenir un homme."

– Diogène Laërce

eunuque

Il faut toujours le rappeler, car ce quiproquo a la vie dure : les épicuriens ne sont pas de joyeux lurons, on ne se marre pas beaucoup avec eux, et l'on ne boustifaille guère dans leur sobre jardin : à peu près tous les épicuriens sont des faibles et des souffreteux. Épicure était un petit corps malade ; il vomissait, parait-il, deux fois par jour, et ce fait en dit déjà long sur ce qu'il faut penser de cette secte de souffrants qui ne peuvent que s'efforcer d'aimer l'ombre de la vie. La faiblesse d'Épicure se voit jusque dans son style boiteux : quelle différence avec le puissant style de Platon ou avec les milles et unes facéties d'Aristophane, le véritable joyeux luron de la Grèce ! La morale épicurienne est extrêmement pauvre, et c'est bien pourquoi on l'étudie systématiquement en terminal alors qu'on s'abstient généralement d'essayer de comprendre l'éthique de Spinoza. Il s'agit d'une morale purement négative, fondée sur des préceptes simples et efficaces, qui ne vise qu'une plate ataraxie ; quelle différence avec l'exigeante l'éthique d'Aristote ! Ils sont mignons, les épicuriens, dans leur jardin tranquille, mais ils ignorent ce qu'est la véritable joie, le sentiment de puissance, la ferveur, la force majeure ; au lieu de ça, ils proposent un idéal de marbre, négligeants les flux d'intensités qui parsèment joyeusement l'existence de l'homme qui accepte de jouer le jeu de vie. Mon bonheur, je le veux intense ; je n'aspire pas à un fade bonheur négatif, et j'ai la prétention de croire que je n'ai pas débarqué en ce monde pour mener une piètre existence d'huître tranquille, une vie qui s'écoulerait comme un très long et très insipide fleuve tranquille. Nietzsche, qui se proclamait pendant un temps épicurien, eut la présence d'esprit d'attaquer les épicuriens sur leurs faiblesses, sur la décadence qui était inhérente à leur philosophie, sur le petit nihilisme qui se cachait derrière leur image de folâtre croqueur de plaisirs.

Du pain, un morceau de chèvre, un verre d'eau, et au lit ! Tel est l'authentique épicurisme. Il faudrait tout de même cesser un jour d'appeler épicurien les bons vivants et toujours dire rabelaisien,  en hommage à notre héros national et mon vénéré héros personnel, pour désigner ces hommes qui bénissent la vie en dévorant franchement les inlassables nourritures qu'elle apporte sans cesse. Les épicuriens sont des sortes de précurseur de l'hygiénisme et du diététisme contemporain ; j'imagine assez mal un épicurien appréciant de fumer un Toscano extra vecchio, ni même en supporter l'odeur. 

Il est malheureux que la plupart des philosophes aient été de mornes ascètes. Où diantre est-il, le Rabelais de la philosophie ?

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