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Scolies
28 mars 2012

CLXXIV

Et ce ne serait peut-être pas un conseil peu important à donner aux écrivains que celui-ci : - N'écrivez jamais rien qui ne vous fasse un grand plaisir.

– Rivarol

stendhal28102011


Notre premier mouvement, entendant un tel conseil, est un mouvement d'opposition. Si nous n'écrivions que par plaisir, nous n'écririons que très peu, et surtout, nous n'écririons que des textes faciles, c'est-à-dire que nous nous contenterons de transcrire nos petites idées personnelles : stagnation dans une stérile subjectivité. C'est justement la contrainte d'écrire à partir d'une matière précise et en des temps précis qui accroît notre sens de l'objectivité, façonne notre goût, étend le champ de nos plaisirs ; car si le premier effort de l'écriture, comme de toute activité, est toujours un peu forcé et ennuyeux, souvent le plaisir vient bientôt : lorsque la contrainte est acceptée et qu'elle n'est pas trop pesante, elle stimule le mouvement, et la sensation de ce mouvement procure de la joie. Bref, il faut prendre garde à ne pas tomber dans ce vice très commun aujourd'hui, qui consiste à n'écrire que ce qu'il nous plaît et quand il nous plaît ; c'est le meilleur moyen de ne jamais progresser et de s'enfermer dans un reflet flatteur de soi-même, avilissante prison. C'est pourquoi l'artisan et l'artiste gagnent à se faire imposer, ou, ce qui est encore mieux, à s'imposer un sujet ;  c'est ainsi, et seulement ainsi, qu'il pourra avancer sur le chemin du beau ; tout le reste est vain rêve de grandeur.

Le second mouvement, après nous être laissé aller à notre opposition spontanée, est d'apercevoir la vérité, dont on sent l'existence, dans le conseil de Rivarol. Il y a des contraintes joyeuses, des règles utiles, des exigences salutaires ; au contraire, il y a des contraintes tristes, des règles inutiles, des exigences funestes. L'écrivain, comme tous les artisans, et il n'y a que les péteux qui prétendront émanciper l'écriture de l'artisanat, doit travailler pour arriver à un résultat satisfaisant ; mais le travail ne doit point se voir dans le résultat. On connaît tous ces textes où l'on sent trop la sueur de l'écrivain, où le style est gâté par une surcharge d'attention ; il y a, malheureusement, beaucoup de ces choses là chez Flaubert, qui font que Salammbô n'est pas un livre agréable à lire ; lisant cette oeuvre de labeur, nous partageons la douleur de l'écrivain. Toujours j'opposerai à ce sauvage nihiliste acharné de Flaubert l'insouciant génie de Stendhal, dont la vigueur aérienne de sa prose n'a aucun égal ; de même que Rossini, plus qu'aucun autre compositeur, fait sentir le bonheur de la musique, aucun auteur au monde ne fait mieux sentir le bonheur d'écrire, qualité rare chez les grands écrivains, ces tristes obsessionenels d'une perfection qu'ils n'atteindront jamais. Les pédants ont plus d'aisance à faire des analyses stylistiques, c'est-à-dire formelles et chiantes, des romans de Flaubert que des romans de Stendhal, quoiqu'il ne s'en privent point ; ce détail en dit beaucoup. Là où les pédants règnent, la méfiance s'impose ; ils fuient tout ce qui est signe de bonheur.

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