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Scolies
22 juin 2012

CCLX

C'est en effet tout un travail de ponctuer Héraclite, parce qu'il n'est pas évident que les termes se rattachent à ce qui les précèdent ou à ceux qui les suivent ; par exemple au début de son écrit il dit : "Voici la raison qui est éternellement restée inintelligible à l'homme" : on ne peut voir s'il faut ponctuer avant ou après "éternellement".

– Aristote


L'invention de la ponctuation sur les manuscrits, inconnue à l'antiquité, fut un progrès incontestable pour l'intelligibilité des textes. La poésie moderne, en manque d'innovation, a réinventé l'absence de ponctuation. Pourquoi ? La ponctuation sert à la fois l'auteur et le lecteur en simplifiant la compréhension du texte ; sans les points, l'entendement à tendance à aller trop loin, et ne s'arrête pas toujours aux bons endroits. Pourquoi faire disparaître ces indicateurs si utiles, sinon pour affecter la modernité, pour trouver de l'original, de l'étrange, ce qui fascine presque toujours les poétophiles, également amoureux du vague et de l'obscur ? Y aurait-t-il dans ce choix un enjeu rythmique et musical que je ne saisis pas ? Car il me semble que l'absence de ponctuation ne peut que nuire à la compréhension rapide du rythme naturel du texte ; ce vide ne peut que perturber le lecteur qui lit le poème pour la première fois. Sans la ponctuation, l'intonation du lecteur se fait nécessairement plus hésitante, moins sûre d'elle-même, tandis qu'un point ne peut pas être mal interprété, pas plus qu'un point d'interrogation. Baudelaire, précis dans ces vers, classique dans l'esprit, était très attentif à la ponctuation de ses poèmes.

Je me souviens, lorsque j'étais en troisième, d'un cours de français dans lequel on nous avait demandé de ponctuer le Pont Mirabeau d'Apollinaire. C'était déjà faire comme si le poème était incomplet dans sa forme et que c'était forcément au lecteur de l'achever. Le poème n'en est pas moins beau avec la ponctuation, et j'imagine que la Chanson du mal aimé ne perdrait pas de son charme si on y mettait quelques utiles points, virgules, point d'exclamations et point d'interrogation. Le texte ne peut que gagner en clarté, et la clarté ajoute à la beauté plutôt qu'ell ene la diminue ; mais c'est précisément ce que semblent ne pas comprendre les poètes et les poétophiles idolâtres. Aussi, je ne m'étonne point que la plupart des poètes avouent détester les mathématiques, qu'ils méprisent ouvertement les sciences et la philosophie, et qu'ils manifestent, en général, dégoût à l'égard de tout ce qui est clair et rigoureux. Il est intéressant de remarquer que Paul Valéry, qui est un vrai poète, n'avait pas ces défauts. 

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